Bonjour à toutes, et à tous. Je crois bien qu’il y a aussi des « ils » parmi toutes ces « elles »…
Laurent pourrait vous raconter, depuis quelques jours je fume, je bous, je monte en pression, et là, paf, j’ai explosé !
Le 12 mars je suis rentrée dans ma coquille. Après 10 jours semés tel le chemin du petit poucet de rendez-vous avec la banque, de prévisionnels façon « Madame Irma vous prédit votre avenir pour pas cher » de nuits blanches bref… pas pire que pour vous tous, juste un poil plus tôt compte-tenu de notre type de boulot sur les salons. Je me souviendrai toute ma vie de notre banquier, un type très sympa, qui n’imaginait pas le 10 mars, quand il compatissait à notre situation, la grosse claque qu’il allait prendre dans le nez la semaine d’après…
Nous sommes en guerre a dit le monsieur dans la télé. Bon. Ok. Moi qui aime tant l’histoire, je ne voyais pas trop les bombes, les arrestations arbitraires et les actes de barbarie, mais je voulais bien admettre que nous étions en guerre contre cet ennemi mini et sournois qui allait nous terrasser tout soudain après avoir réussi en tapinois – j’aime le mot, autant le placer…- à se faire passer pour un pt’it rhume depuis deux mois et des brouettes. Il avançait masqué… ha ha.. pardon, c’est les nerfs…
Donc, la guerre. Paf. Sur ces entre faits, pas de masques, pas de gants, pas de charlottes, pas de calots, pas de sur-blouses, pas de blouses non plus pour les pensionnaires d’une Ehpad au centre de Nancy (si si, je vous jure, j’en ai fait 30 !). Pas de grand-chose, donc, mais une foule de gens courageux partis en croisade – changeons de type de guerre – contre le coronatrucmuche.
En plus j’en connais, qui sont en or. Donc je sors ma machine à coudre (oui oui, je sais, UNE de MES machines, et elle était déjà sortie) et je m’y colle. D’abord des masques pour Sarah, aide à domicile, puis des masquesssss pour son employeur qui rationne ses 140 dévouées qui sillonnent les routes, puis, de fil en aiguille, forcément, la team en or des Couturières Solidaires 54. Oyez braves gens soignants, travailleurs de l’ombre, les petits, les grands, qui n’en veut ? On vous en fait. Des milliers. Oui oui, des milliers. Des « CHUD’GRENOBLE » puis des « AFNOR parce que ça fait plus sérieux ».
Des demandes il en a eu, de la part d’établissements de santé ou de libéraux. Nous n’y faisions face que difficilement. En moins d’un mois nous étions 18000 en France. Je ne vous explique pas à quoi ont servi tous ces masques, vous avez la télé, ou au moins la radio.
Où l’on nous a aussi expliqué que « ça ne sert à rien, vous n’en avez pas besoin ». Et puis « Bon ça sert pas complètement à rien mais si vous vous en servez mal c’est pire ». Et enfin « Bon en fait c’est bien, tiens on rouvre les magasins de tissu comme ça vous pouvez faire la queue à 1 mètre de distance, pour aller acheter de quoi faire ».
Comme je suis parano, dès qu’on a eu le doc AFNOR, moi qui ait été traumatisée dans une autre vie par une certification ISO9002- j’ai voulu comprendre. Quel tissu il faut ? Combien de fils au cm2 ? Quelle duite ? Quelle matière ? Quelle jauge ? Deux couches ? Trois couches ? Avec les petits élastiques là ? Sur le côté ?? J’ai sorti mon compte fils, et je les ai comptés, les fils. J’ai cherché par tous les moyens à trouver ce que c’est que cette p—-n* de popeline 120 fils, que même l’ingénieur textile, elle sait pas!
* en période de confinement, les gros mots sont autorisés.
J’ai appris par cœur mon « Technologies des textiles – de la fibre à l’article », par Daniel Weidmann, chez DUNOD 2ème édition…
Je suis passée pour une emmerdeuse parmi cette formidable équipe de bénévoles, débutantes ou autres, qui voulaient juste servir, servir, aider et se rendre utiles, qui s’émouvaient de tous ces remerciements reçus des infirmières, des aides-soignantes, des éboueurs… Et qui comme moi cousaient jours et nuits.
Une spéciale dédicace à une petite Véro, qui, aide ou infirmière à domicile, cousait dans les trous de son emploi du temps de dingue, tout en ayant dans sa journée livré les masques, dorloté sa famille, écrit 200 posts messenger, aidé ses parents, récupéré les dons de tissu, et soigné ses patients après s’être levée à 4 heures du mat. Qui dit mieux ??? Et Laure, Magali, Marine, Elo, Gwen, Edith, Alexandra…
Et je guettais la NORME. Le tissus machin chose 125gr au m2 a-t-il passé les tests de la DGA ? oui ! ça respire ?? oui oui !! Ça laisse pas passer trop de goulettes aérosolisées mega virussées de 3 microns ??? non non non !!! Mais depuis l’apparition de l’AFNOR et sa « certifquin’estpasunecertif attention» j’attendais le loup.
Il est où, le loup ?
Il est là, il est sorti du bois, il est venu en tapinois – encore ! Avec sa petite étiquette bleu-blanc-rouge 5 lavages. 10 lavages… XXXX lavages… arrivée tranquille pomme-chips l’air de rien au JT de 20 heures ils y a quelques jours. Sans qu’on nous explique plus que ça ce qu’elle signifiait en réalité. Ces derniers temps nous a dit comment il faut laver la bête. Mais dans les nomenclatures AFNOR, DGA, IFTH etc. il était juste indiqué « tests lavages en cours » par exemple. Ou « testé 10 lavages ».
Moi, cruchonne, j’avions cru benoitement que c’était parce que le tissu à 60 degrés il allait s’user, devenir poreux, que sais-je ? Que nenni ! On vient de nous le dire, c’était un secret bien gardé, un truc classé défense peut-être ? Le tissu se resserre, encore, et encore. Et les fibres se contractent et on ne respire plus convenablement. Corona, lui, avec ses goulettes, il est coincé, bon an, mal an, il reste dans la barrière, ou pas, finalement on sait juste que c’est du bon sens et mieux que rien et mettez pas vos mains dessus, mais l’oxygène, lui, il reste à l’extérieur… ?
Et c’est maintenant que c’est évoqué. C’est comme une inauguration de plaque pour le premier mai ? C’est la fête du travail spéciale pour les couturières qui commençaient à coudre des masques parce qu’on leur en demande et qu’accessoirement elles n’ont plus un rond ? Et parce qu’après s’être sincèrement dévouées elles ne veulent plus, puisque ce n’est plus nécessaire pour les soignants, coudre pour des prunes et à leurs frais. Quitte se faire lapider en place publique et traiter de profiteuses de guerre.
Inutile de me tirer dessus, je ne suis pas couturière.
Au fait, les filles, on vous a pas dit, mais vous pouvez pas coudre des masques PAYANTS. Vous pouvez si vous voulez, trouver vous-même un fournisseur (pas de liste rendue publique) qui vous vendra (s’il en a) un tissu (un seul et unique, genre pas le même type mais un imprimé pois et un imprimé fleuri) avec référence et certificat DGA. Que vous devrez produire en cas de contrôle. Ou bien vous pouvez essayer de faire tester, comme qui dirait à l’aveugle, deux prototypes de masques, c’est gratos.
Bon, s’ils ne passent pas les tests après c’est 1110 € HT chaque test suivant, hein, y’a pas marqué La Samaritaine.
Mais par contre, gentils gens généreux, allez sur le site AFNOR et référencez-vous. Et offrez vos masques. Alexandre Jardin l’a dit, offrez offrez, à tout le monde et son frère. Mais là, faites-vous plaisir, AFNOR a dit « si vous avez du coton, de la feutrine et du ruban » GO !!!
Ou tient, utilisez du Liberty (c’est ce qu’on voit partout, à la télé, sur les photos, c’est de nouveau ultra tendance, le Liberty), 90gr au m2 je crois ; ultra fin et bien serré, je vous l‘accorde – léger et très délicat comme on l’aime. Par contre, pour le lavage à 60 degrés, j’ai essayé, Liberty, il aime pas…
Là, c’est bon. C’est GRATUIT. Vous pouvez par ce geste généreux qui vous honore laisser votre prochain s’étouffer puisqu’on le dit, il y a risque d’étouffement. Enfin nuance, on ne s’étouffe pas, on enlève le masque qui nous gêne pour respirer…
Mais c’est pas grave, c’est gratuit. Étant donné qu’on a aucune idée du type de tissu altruistement (oui, c’est une licence poétique) offert par l’héroïque couturière, on a aussi aucune idée du nombre de lavages possibles pour ce masque.
A cette heure, j’ai les yeux qui piquent, j’ai cherché tout l’après-midi les études universitaires et autres recommandations UK, USA, Belges, Suisses, enfin partout où je peux lire ce qu’il y a de marqué sur l’écran, et j’ai trouvé ça nulle part ailleurs. N’y a-t-il qu’en France que le tissu des trucs payant rétrécit ? Allez, ça va venir, j’ai mal lu, j’ai omis le bon article, le bon chercheur, l’étude du bon virologue, épidémiologiste, truc bidule, tout ce que vous voulez.
Laurent dit que je suis parano. Enfin il ne l’a pas dit vraiment. Il est diplomate et il m’aime (PS : non je ne l’ai même pas pensé. Laurent). Mais mon sentiment aujourd’hui est que les autorités et les industriels petits et grands– appelons les comme ça – ont sorti leur parapluie et leurs épuisettes. Une jolie norme, et une chouette menace pour tous ceux qui vendent les masques artisanaux – ceux-là même qu’on invite les couturières & couturiers bénévoles à offrir gracieusement à leurs co-covidoyens.
Alors je propose un truc : APPRENEZ TOUS A COUDRE ! Si l’on excepte les gens fragiles, malades, diminués, exclus, qu’on doit aider, tout individu en capacité de déboucher une bière, de jouer à Minecraft, de faire un gâteau ou une bouture, est capable de tenir une aiguille –ce truc pointu avec un trou d’un côté- et de piquer droit à petits points sur un trait tracé au préalable avec une règle prévue à cet effet. On se procure les bons tissus (ça ça commence à être facile, vu la littérature web qui foisonne) on peut même se passer d’élastique, et on s’y colle. Bien entendu, que ceux qui trouvent une machine à coudre s’en servent !
On se fait plein de jolis masques, tout plein des gros tas. Et quand on sent qu’on respire moins bien, puisque tel est le danger (entre autre) qui nous guette, on en prend un autre. Youpi.
Ou alors, tiens, si d’aventure elle est d’accord, on va voir la petite couturière du coin avec notre joli tissu choisi avec amour et notre bout d’élastique ou un soutif de notre grand-mère et on lui propose de nous coudre notre masque avec son savoir-faire si spécifique, elle le fera bien et plus vite ! On lui paye son travail, son temps, et on gère notre respiration tous seuls comme des grands.
Car comme l’a si bien dit Philippe Claudel dans la bouche de son personnage italien déjanté de Tous les soleils, « Ma, j’ai un cerveau, j’é m’en sert ».
Pour faire ma part, je vais reprendre mon bâton de pèlerin, ma cape magique de professeur de cousu, après-tout j’ai eu plus de 1500 élèves (j’ai compté) en 16 ans de cours de patchwork, et je vais apprendre à Laurent à coudre un masque à la main. En vidéo. Et on partagera sur le blog, le site, facebook, youtube et par voie d’affichage 4×3 si besoin.
Bisous. Merci. Bisous (pardon Juliette Arnaud).
Votre Béné. Un poil fâchée…
Bravo Béné c’est tellement bien dit
Moi je n’ai qu’un mot : bravo Bénédicte ! Tout est dit !
Natacha